On dit que Dieu protège ses fidèles. On dit que Dieu aime ses enfants. On dit beaucoup d’absurdités à propos de toutes ces choses. J’ai fini par tourner le dos à Dieu, ou c’est plutôt lui qui m’a tourné le dos en me les arrachant. Depuis je ne travaille plus pour lui. Depuis je ne travaille plus pour personne.
2003 ~ Italie
Elle ne devait être que l’appât, Beatrice Giacconi. Une jeune femme d’à peu près mon âge, plus jeune d’un an à peine. Une sorcière. Ces vampires la voulaient pour ses capacités, nous le savions, nous la surveillons sans qu’elle ne le sache. C’est un sacré troupeau de vampires que cette femme nous a ramené, mais nous étions préparés à les accueillir. Une nuit de plus ou les rues d’Italie sont saccagés par la violence et la mort, où le sang dégouline des marches d’un escalier, le long des murs, mais il y a cette partie qui s’écoule dans les égouts grâce à la pluie qui nettoie cette nouvelle attaque, comme si Dieu aidait à couvrir nos traces. Matthew Leone et moi étions à la tête de cette mission, et comme toujours ce fut un succès, ou presque. La sorcière avait été blessée.
- On la dépose dans un hôpital, c’est la procédure Raf.Rafaël Delmonte, c’était mon ancienne identité, celle que les fratres m’ont donnée, mes parents n’ayant pas voulu me faire l’honneur de me nommer avant de me donner. Je n’ai jamais cherché à savoir qui ils étaient. A quoi bon ? Ma vie était ici.
- C’est une sorcière, la procédure est différente pour elle. Sans même m’en rendre compte j’étais déjà épris d’elle à cet instant, incapable de l’abandonner à son triste sort, il fallait que je la sauve.
Allez couvre-moi Matt, tu me dois bien ça. Matthew était mon duo de toujours parmi les fratres, mon meilleur ami, mon frère.
Il m’a aidé à la ramener à l’Eglise, passant par la porte arrière pour ne pas nous faire remarquer. Il m’a aidé à la soigner, nous avons veillé sur elle à tour de rôle jusqu’à ce que son état de santé ne soit plus critique. C’est lors de mon tour de garde que Beatrice s’est réveillée et on pouvait dire qu’elle s’en était bien remise. Je suis en train de réciter une prière lorsqu’elle ouvre les yeux et il y a cette barre de musculation qui traverse la pièce pour venir m’agresser. J’esquive le coup de justesse, la barre passe au-dessus de ma tête et vient s’éclater contre le mur, elle m’aurait probablement ouvert le crâne si je ne m’étais pas baissé à temps.
- Je ne suis pas votre ennemi. Le regard de Beatrice vers la porte indique son désir de fuite. Elle se lève et court dans cette direction, je la rattrape et l’immobilise, son dos collé à mon torse, je ne cherche pas à lui faire du mal, juste à la calmer.
En fait je vous ai même sauvé la vie donc ce n’est pas très correct de chercher à me tuer. Mais elle n’écoute pas, tente vainement de me donner des coups de coudes avant d’abandonner, du moins c’est ce que je crois. Sa main vient se poser sur la mienne et c’est comme si je sentais mon énergie se vider au fil des secondes. Je sais qu’il s’agit de sa magie.
S’il vous plaît Beatrice, arrêtez ça...Mais elle n’arrête pas et c’est lorsque Matthew rentre, arme braquée devant le cœur de la sorcière en menaçant de la tuer qu’elle finit par arrêter. Sa magie aurait pu lui permettre de dévier la trajectoire de la balle pourtant, mais elle a tout simplement cessé de se battre. Une longue conversation s’en est suivie et Matthew a fini par comprendre pourquoi je ne voulais pas la tuer, au fond lui aussi été tombé sous le charme.
2009 ~ Amérique
Je suis marié à Beatrice depuis deux ans. Les fratres ont eu du mal à accepter la présence d’une sorcière en fuite dont ils ne savaient rien, pourtant ils n’étaient pas mécontents lorsque la dite sorcière soignait leurs plaies et permettaient de sauver des vies. Elle était un membre à part des fratres, mais elle faisait partie de la famille, comme nous elle n’avait nulle part où aller, alors j’ai poussé nos supérieurs à l’accueillir. Elle était chez elle ici et si quelqu’un avait quoi que ce soit à en dire, il se faisait remettre à sa place par Matthew et moi. Nous étions soudés et c’est ce qui nous a permis d’aller aussi loin.
Mais Beatrice ne nous accompagne pas lorsque des missions nécessitent que nous quittions le territoire. Un groupe de vampires nous a échappé d’Italie et a cru pouvoir se cacher aux Etats-Unis. Matthew et moi ne pouvions pas nous contenter de les laisser filer et commettre de multiples massacres dans un autre pays alors qu’ils étaient notre mission. Nous n’acceptions pas qu’une mission puisse rester inachevée. On ne s’attendait pas à ce qui allait nous tomber dessus là-bas. Nous avions déjà eu à faire à la police plus d’une fois, des civils qui appellent les forces de l’ordre pendant une attaque contre des vampires et qui nous arrêtent, on connaît bien. Sauf que les fratres ont l’avantage d’avoir des alliés un peu partout et nous ne restions jamais enfermés plus de vingt-quatre heures dans une prison. Cette fois c’était différent, ce n’est pas la police qui nous est tombée dessus mais la CIA.
Une de leur unité les traquait en même temps que nous. Nous avons attaqué le même soir et si ces hommes sont doués, Matthew et moi étions meilleurs. Nous avons passé notre vie à traquer et tuer du vampire, on ne comptait pas se faire voler la vedette aussi facilement. Nous aurions plutôt dû les laisser se débrouiller avec leurs nouvelles armes et ne pas nous en mêler, après tout cela nous aurait peut-être évité tout ce qui va suivre. Matthew et moi avons été interrogé par ces hommes durant de très longues heures, nous n’étions pas dans la même pièce, impossible de savoir ce que l’autre disait, j’osais croire que Matthew resterait aussi silencieux que moi.
Ces hommes ont voulu me recruter, ils pensaient peut-être que complimenter mes capacités serait suffisant pour que je leur dise oui. Je me suis contenté de leur répondre que j’ai déjà tout ce qu’il me faut et étrangement ils ont accepté de me relâcher aussi simplement, me donnant un numéro sur lequel les contacter si je venais à changer d’avis. Matthew est resté plus longtemps que moi enfermé là-bas, il m’a rejoint vingt-quatre-heures plus tard en insultant ces types. Je n’ai jamais su ce qu’il s’était dit entre eux, mais je savais que j’aurais dû creuser davantage.
A mon retour d’Italie j’ai informé mes supérieurs de ce qu’il s’était passé là-bas, les vampires, la CIA et leur proposition. Les fratres m’ont demandé d’accepter leur offre, ou ils m’ont plutôt forcé la main parce que j’ai toujours été un homme raisonnable, je sais encore différencier les contrats qui rapportent plus de problèmes qu’autre chose. Ils se sont servis de Beatrice contre moi, m’ont annoncé qu’elle ne serait plus accepté ici si je refusais et que ce serait dangereux pour elle d’être dehors, d’autant plus maintenant qu’elle est enceinte. Ce sont eux qui m’ont annoncé ce qui aurait dû être la meilleure nouvelle de ma vie et ils s’en sont servis contre moi.
2018 ~ Italie
Alessia aurait dû avoir huit ans à présent. Je me demande encore comment ma vie a pu déraper à ce point. Il y a des bons et des mauvais partout, chez les fratres, dans la CIA, partout ailleurs. J’espérais pourtant que les bons ne deviendraient pas mauvais. Je les ai tous tué, chacun d’entre eux. Leur sang coule de mes mains et de mes vêtements. Tous humains. Est-ce cela que tu voulais mon Père ? Car ce sont tes jeux qui m’ont rendu ainsi, tes mauvais tours et tes trahisons. Mais il n’y a pas de Dieu, il n’y en a jamais eu, il n'y a que les hommes et leurs cœurs impurs. Ils devaient payer pour leur crime, pour le meurtre de Beatrice et Alessia. Ils devaient payer pour cette vidéo, pour avoir piétiné mon cœur et détruit l’homme que je croyais être. Humain ou pas je suis devenu un monstre moi aussi. Je suis devenu leur monstre.
Pensaient-ils pouvoir être invincibles parce qu’ils sont de la mafia ? Je suis plus fort qu’eux. Ils auraient dû savoir pourtant qu’il ne faut pas provoquer un fratre doublé d’un militaire. Ils auraient dû savoir que je viendrais pour eux et je suis venu. Leur argent sale est parti en fumée, leurs armes à feu n’étaient pas capables de m’éliminer. Une balle en pleine tête, est-ce donc si difficile que cela ? Certains pensaient que je n'étais pas humain, mais lui savait que je mourrais plutôt que de me transformer. Matthew savait ce que j’étais puisqu’il était comme moi, à l’exception que nous ne nous battions pas dans le même camp. Que t’ont-ils promis pour que tu les tues, Matthew ? Que t’ont-ils donné pour que tu acceptes de trahir ton propre frère ? Une famille c’est ce que nous étions, c’est que Beatrice et Alessia étaient pour toi et tu les as tué, tu les as filmé, caché derrière ton masque tel le lâche que tu es. Avais-tu peur de lire leur déception dans leur regard lorsqu’elles t’auraient reconnu ? Mais moi je t’ai trouvé. Une année entière à chercher les pourris qui m’avaient fait cela. Tu ne m’aurais pas échappé Matthew, aucun d’entre vous ne m’aurait échappé. J’ai passé un deal avec la faucheuse et je peux t'assurer que je suis son favoris, c’est moi qui lui rapporte le plus de cadavres à emmener.
«
C'est un véritable carnage qui a eu lieu au cours de la nuit dans le restaurant de la huitième avenue. D’après nos sources, le restaurant était une couverture tandis que derrière les cuisines, un immense entrepôt servait de fabrique de drogues et de réserves d’armes. A l’heure actuelle les forces de l’ordre pensent qu’il s’agit d’un règlement de comptes entre gangs. Le chef Alonzo Bellini ainsi que tous ses hommes ont péri au cours de cette attaque. Matthew Leone semble être le seul survivant, il serait actuellement plongé dans le com et, les médecins sont incapables de nous dire quand il se réveillera. »
J’éteins la radio et détruis tout ce qui se trouve autour de moi, hurle, casse, brise... Pourquoi fallait-il que tous les hommes présents, seul Matthew ait survécu ? Est-ce un nouveau test de Dieu ? Est-ce un nouveau jeu ? Je reviendrais pour lui. Je reviendrais finir le travail, il le faut.
2019 ~ Angleterre
Je n’ai pas pu finir le travail. Matthew était protégé jour et nuit de fratres qui auraient donnés leur vie pour le protéger. Ils ne savent le genre d’homme qu’il est vraiment. J’aurais pu le leur dire mais quand l’annonce est tombée comme quoi Rafaël Delmonte est recherché pour avoir commis ce massacre, j’ai su qu’aucun de mes frères ne me croiraient. Si j’ai accepté de partir, c’est uniquement parce qu’une infirmière m’a annoncé d’un air désolé qu’il y avait peu de chances que Matthew se réveille un jour. D’une certaine façon n’était-ce pas mieux qu’il continue de souffrir plutôt qu’il meurt aussi facilement ? Alors je l’ai laissé dans sa souffrance, j’ai laissé l’Italie derrière moi en espérant pouvoir tirer un trait sur mon ancienne vie. Je ne travaille plus pour personne à présent, ni Dieu, ni les fratres, ni la CIA. Je suis juste John Monroe, un honorable citoyen qu’il ne faut pas venir emmerder.
Un mois que je suis à Londres. Un mois que j’essaie de tourner la page, mais difficile à faire lorsque le passé se rappelle de lui-même à vous. Il y a eu cette information qui a fini par remonter. Matthew ne travaillait pas pour cet Alonzo Bellini, il recevait ses ordres d’un autre homme, un autre mafieux. Tony Castelli. J’ai éliminé le mauvais gang. J’ai éliminé les mauvais hommes. D’une manière ou d’une autre je compte bien réparer mon erreur. Si je ne peux pas retourner en Italie pour avoir moi-même ce Tony alors je le ferais venir à moi.