Henrik Aslakson

Qui suis-je vraiment ? A croire que cette question ne cesse d’être le centre de mon existence. Certains m’appellent le saxon, d’autres le scandinave. Anglais ou norvégien ? A vrai dire je suis né en Angleterre, fils d’Henrik, roi de Norwich, j’étais destiné à prendre la relève de mon père à son décès et régner sur ses terres. J’ai été élevé dans le catholicisme, on m’a baptisé, on m’a donné tous les enseignements qu’un prince de dix ans est censé maîtriser. Mais c’est à cet âge-là que le royaume est tombé, pris aux mains des norvégiens, mon père se fait tuer et miraculeusement on décide de m’emmener plutôt que de me tuer. C’est ainsi que je quitte le pays pour la première fois ainsi que mon statut de prince pour prendre celui d’esclave du clan d’Aslak.

Je grandis aux côtés de cette famille, de ces villageois. Je découvre leurs croyances, leurs dieux, leurs traditions. Je deviens proche de la famille d’Aslak, son fils âgé de dix ans de plus que moi, Aslakson, et sa fille qui a mon âge, Ida. Ils deviennent ma propre famille, mes frères et sœurs, mes parents, ils ne me traitent pas vraiment comme un esclave, c’est simplement que ça les amuse de temps en temps de donner des ordres à un saxon. A l’âge de quatorze ans je joue avec Ida dans la forêt qui borde le village. Il se fait tard, on devrait rentrer mais on ne voit pas le temps passer. En revanche on aperçoit ces troupes marcher sur nos terres, des ennemis venus attaquer le village. Je cache Ida dans la forêt, lui promet de revenir la chercher et retourne aux villages pour alerter les troupes. Les hommes ont tout juste le temps de se préparer avant de se lancer dans la bataille pour protéger leurs terres. C’est également la nuit où je commets mon premier meurtre, retournant chercher Ida dans la forêt, la pauvre enfant avait été repérée par un ennemi qui n’avait honte de violer une enfant, mais il n’a rien pu faire d’autre que la déshabiller avant qu’un poignard ne s’enfonce dans son cœur. Cette nuit-là le village d’Aslak termine vainqueur et moi je perds officiellement mon statut d’esclave. Aslak fait de moi son propre fils, pour me remercier d’avoir protégé sa fille, d’avoir protégé ses terres, et c’est ainsi que je deviens Henrik Aslakson.

J’ai vingt-deux ans lorsque les terres d’Aslak se font piller et voler aux mains d’ennemis. Il n’y a presque pas de survivant, excepté quelques femmes qu’ils décident de garder. J’ai vu Aslak se faire trancher la tête sans avoir pu intervenir, caché hors du village avec ma meilleure amie, Amalie, elle m’empêche d’aller les venger. Seul contre tous, il était impossible que je l’emporte. Mon seul espoir était d’attendre le retour d’Aslakson, parti depuis des mois conquérir de nouvelles terres, nul ne pouvait estimer la date de son retour. Traqué par de nombreux ennemis, je redevenais le saxon aux yeux des scandinaves et ne pouvais me permettre de rester sur ce territoire. Alors j’ai décidé de retourner à Norwich récupérer ce qui m’appartient de droit.

Appartenir à deux terres n’a jamais été un cadeau. En Angleterre on refusait d’offrir des terres à un scandinave, en scandinave on refusait d’offrir des terres à un saxon. Mais j’étais doublement un prince, fils du roi Henrik à Norwich, fils du roi Aslak à Halden, je méritais de droit d’être libre et de posséder du terrain. Pourtant libre je ne l’ai jamais été. C’est avec la reine Marie Tudor que je fais affaire, c’est à elle que je me vends, acceptant de protéger ses terres des norvégiens pour qu’elle puisse se concentrer sur sa propre guerre contre les protestants. Oh elle ne m’a accepté que parce que le prêtre qui m’avait baptisé travaillait à ses côtés et lui avait assuré que j’étais un bon catholique. Elle a vite découvert que je m’étais éloigné de sa religion sacrée, mais face aux victoires que je lui apporté, elle ne pouvait que l’accepter.

Qui est vraiment Henrik Aslakson ? Mon nom se répand sur tous les territoires et pourtant nul ne sait vraiment. Je suis celui qui a apporté la victoire à la reine Tudor en sacrifiant des centaines de norvégiens. Je suis également celui qui a repoussé des anglais pour protéger la vie de mon frère qui se trouvait aussi sur l’un de ces champs de bataille. Ce que j’en pense ? Dans mon cœur et dans ma religion, je serais à jamais un norvégien fier de ses croyances, mais sur le papier, j’appartiens aux terres d’Angleterre et c’est à Norwich que je dois poser bagages, là-bas que je dois régner. Marie m’avait fait la promesse qu’une fois la victoire sienne, les terres qui appartiennent à mon oncle me reviendraient de droits. La reine m’a offert un statut, de l’argent, des soldats, mais jamais elle ne m’aura rendu ce qui m’appartient.

Sept ans à me battre pour Marie puis Elisabeth Tudor, à attendre qu’elles tiennent parole avant que tout ne bascule. Saviez-vous que les vampires existent ? A mon époque on ne croit qu’à l’existence des sorcières, mais visiblement elles ne sont pas les seules à peupler la Terre. La transformation n’a rien d’exceptionnel, tout se passe au beau milieu de la nuit, je rentre tard de la taverne, tanguant à cause d’un peu trop de consommation de rhum. J’aurais presque cru à un rêve, mon dos heurte violemment un mur de pierre et malgré mon état j’étais prêt pour ce combat. Mais qu’est-ce qu’un humain peut faire face à une force surhumaine ? Les souvenirs sont assez vagues, le vampire m’annonce qu’il aime entendre les légendes d’Henrik Aslakson et qu’il aimerait qu’elles durent encore des siècles. La seule chose que je trouve à lui répondre : « moi aussi, vieux ». Et il le prend comme une autorisation à me vider de mon sang pour me transformer.

Vingt-neuf ans, je deviens un monstre assoiffé de sang. Ma première victime est Amalie, elle qui m’a suivi toutes ces années sans rien demander en retour. Je ne savais pas ce que je faisais, je ne comprenais rien à ce qu’il se passait. Son corps s’écroule entre mes bras et je la serre contre moi, la supplie de revenir, la supplie de me pardonner, puis je me retrouve finalement à espérer qu’elle repose en paix au Valhalla. Je fuis l’Angleterre, la Norvège, toutes ces terres pour partir ailleurs, loin de tout. J’ai songé plus d’une fois à en finir avec ma vie. J’ai demandé à Thor, à Odin, à tous les dieux de m’expliquer pourquoi est-ce qu’ils m’avaient fait ça. Ma mort devait me conduire au Valhalla, au lieu de ça on me force à errer éternellement sur Terre, sans bien, sans territoire, sans famille. Alors j’ai choisi de mener la guerre contre les Dieux, de me venger sur leurs créations en massacrant hommes, femmes et enfants, en brûlant tout sur mon passage. Je n’étais pas destiné à devenir ce monstre, j’étais un homme bon et droit, mais je ne suis plus un homme aujourd’hui, je suis un vampire.

On est en 1805, ni ma haine ni ma peine ne se sont calmées, mais la solitude ravage mon cœur et mon esprit. C’est pourquoi, lorsque Nikolaï Levine me trouve et me propose d’appartenir à son clan, je choisis d’accepter. Peut-être aussi parce que c’est l’occasion pour moi de revenir en Angleterre après tous ces siècles. Il dit qu’il sait ce que je suis, qu’il connaît mon histoire et que si je lui offre la victoire de la même façon que j’ai servi les Tudor, il m’offrira un jour le Centre de Londres en remerciements et jure de tenir parole. Dois-je faire confiance à cet homme ? Je décide de tester sa parole, mais il semblerait que les rois et reines passent leur temps à vouloir me tromper. Ils ont l’air de croire à leurs promesses pourtant,  mais face à tout ce que je leur apporte, ils ne veulent pas se défaire d’un tel allié, ou peut-être ont-ils peur que le nouveau roi leur fasse la guerre. Nikolaï peut s’estimer heureux que j’apprécie autant son clan, autrement je me serais retourné contre lui et aurais massacré chacun de ses vampires. Mais peut-être ne suis-je pas destiné à être roi ? Les dieux semblent être contre mon règne depuis des années.

1985, je ne suis toujours roi de rien ni de personne mais quelque chose a changé. Cette femme m’a changé. Elle est parvenue à ramener l’humain en moi, à me rappeler ce que j’étais avant, ce que j’aurais dû devenir. Peut-être était-elle une grande faiblesse à exploiter mais tout vampire un tant soit peu intelligent savait que s’en prendre à elle signerait leur perte. Elle m’a adouci. Elle m’a rappelé ce qu’était l’amour, puis ces hommes ont tout détruit.

2003 signe à nouveau la fin de ma liberté. Je ne redeviens pas esclave mais pire que ça : cobaye. Ces hommes auront dû essuyer de nombreuses pertes la nuit de ma capture, je n’allais pas les laisser m’embarquer aussi facilement, mais ils m’auront quand même eu et je soupçonne quelqu’un de m’avoir trahi.

Qui suis-je ? Cette question tourne en boucle dans ma tête depuis que je me suis éveillé dans cette station à essence, sans le moindre souvenir de ce qui m’est arrivé, sans le moindre souvenir de qui je suis. Le contenu d'un sac m’offre quelques réponses, un nom, un prénom et un territoire sur lequel me rendre, un clan vampire à intégrer et faire tomber en échange de ma liberté et de mes souvenirs. Dois-je leur faire confiance ? Toute ma vie on m’a demandé de me battre pour une cause qui n’est pas la mienne en me faisant miroiter des choses. Après 482 ans d’existence, il semblerait que les choses n’ont toujours pas changées.