Première Rencontre

Première Rencontre

Difficile de ne pas considérer Alekseï et Katerina de la même famille. Il y a des similitudes, des réflexes d’un autre siècle qui ont été gardés. Qui prévoit encore le dîner à vingt heure ? Qui prévoit encore un dîner quand il est un vampire ? Mais la même chose est aussi présente chez Katerina, tout comme les employés s’affairant en cuisine pour ne pas avoir à se rabaisser à ce genre de tâche sous prétexte d’une perte de temps. Ivana vient de la face cachée de cette famille, celle qui n’avait pas les mêmes moyens et qui savait se servir de ses mains pour faire toutes les tâches ménagères. Elle est bien contente de ne pas avoir vu le jour dans la haute société, mais ça n’a plus d’importance maintenant de toute façon. Sa famille, ça fait longtemps qu’elle essaie de ne plus y penser autrement qu’à travers des envies de vengeance. La nostalgie n’est pas un moteur, c’est même tout l’inverse.

« J’aurais peut-être fourni un nom bien plus tôt si tu ne m’avais pas attribué un prénom avant même que je le fasse. » Elle aurait pu faire une joie de se présenter mais, elle n’avait même pas eu le temps que le prénom de la sœur d’Alekseï était passé entre ses lèvres. Après ça, la discussion était partie sur autre chose et l’oubli avait été facile. Elle pourrait le faire maintenant mais ça serait beaucoup moins amusant. Alors, sur ces mots, elle le quitte pour aller s’enfermer dans la salle de bain. Pas qu’elle est spécialement besoin d’une douche, mais c’est toujours du temps de gagner. C’est sous l’eau qu’elle commence à croire que la volonté de Katerina était qu’elle reste enfermée ici. Une lointaine leçon disait qu’on en apprenait toujours plus sur quelqu’un quand on était proche de lui, sauf qu’Ivana s’en fout de le connaitre. Le voir mort c’est quand même bien plus intéressant, mais bon, on ne va pas contre les plans de Katerina.

ça commence bien… Réflexion qu’elle se fait quand, à peine après avoir eu le temps de se mettre dans une serviette, un cognement se fait entendre sur la porte de la salle de bain. Elle garde son soupir quand elle vient ouvrir pour se trouver nez-à-nez avec une des sorcières qui lui tend des vêtements. « Tu es laquelle ? » Trop de prénom à retenir mais elle peut essayer de faire un semblant d’effort. « Jade. » Ivana attrape les vêtements dans un hochement de tête. « Donc la véranda, c’est ton fait, c’est ça ? » elle confirme avant d’ajouter qu’on ne touche pas à ses plantes. « Je n’y comptais pas, mais j’ai vu qu’il y avait de l’épilobe. Ça faisait longtemps que je n’en avais pas vu. » Jade a l’air un peu surprise et commence à ouvrir la bouche pour dire quelque chose, Ivana l’interrompt. « Merci pour les vêtements. » Sur quoi elle referme la porte pour aller s’habiller en évitant un débat sur le pourquoi du comment elle connait cette plante.

Pour la suite, Ivana se trouve une chambre dans laquelle elle reste toute la nuit. Si elle doit être là pour un moment plus ou moins loin, autant prendre son temps et ne pas aller chercher le maitre des lieux maintenant. Puis ça lui laisse tout le temps pour réfléchir à la marche à suivre et refreiner ses envies de meurtre. Trop de sorcières, ce ne serait pas prudent en plus d’avoir à un taux d’échec possible. C’est avant que le soleil se lève qu’elle sort de cette chambre. Il y a tout un étage qu’elle n’a pas visité et ça laisse la possibilité que seul cet endroit soit protégé de la lumière du jour. Alors c’est en bas qu’elle se balade, qu’elle regarde surtout les endroits qui ne seront pas exposés au soleil en attendant qu’il se lève.

C’est appuyée dans l’encadrement d’une porte qu’elle regarde le jour se lever, sans bouger de sa position. « Les fenêtres sont toutes anti-UV. » Tiens, revoilà la sorcière de la terre qui a un léger ton d’amusement dans cette phrase. Passons. « Je peux te montrer quelque chose ? » Ivana ne répond rien, laisse le soleil se lever et tend la main dans l’un de ses rayons. Rien. Avant que la sorcière ne puisse retorquer qu’elle lui avait dit qu’il n’y avait pas à craindre la lumière du jour, Ivana décide de reprendre la parole en première. « Tu voulais me montrer quoi ? » Le ton est assez septique et surtout très distant. Ce qui est plutôt logique vu les circonstances, les deux femmes doivent faire preuve d’autant de méfiance l’une que l’autre.

Jade l’entraine dans la cuisine avant de sortir un paquet d’un placard et de l’ouvrir sur des feuilles séchées. « J’essaye de faire un thé avec l’épilobe mais je n’arrive pas à avoir le résultat que j’espérais. » Ivana savait bien qu’elle aurait dû se taire en récupérant les vêtements. C’est un soupir qu’elle lâche en tournant les talons. L’idée c’est de sortir de cette cuisine et que la sorcière se démerde avec ses feuilles séchées. Sauf que, avant de quitter la pièce, Ivana fini par revenir sur ses pas. De toute façon, elle n’a pas mieux à faire aujourd’hui, autant occuper un peu son temps. « Je ne comprends toujours pas pourquoi les gens pensent qu’il faut faire sécher les feuilles de cette façon. » Cette plante, Ivana la connait bien parce que, à une époque où la médecine était moins accessible – surtout quand on est isolé dans une baraque en Russie – cette fleur était utilisée en thé pour divers symptômes. C’est avec cette plante qu’on faisait l’Ivan Tchaï, thé typiquement Russe. D’ailleurs, c’est sûrement pour cette raison que Jade essaye d’en faire, elle doit vouloir rappeler certaines choses à Alekseï.

Bref, Ivana passe une bonne partie de la matinée à expliquer et à montrer comment on broyait d’abord les feuilles avant de les faire sécher au-dessus d’un poêle – enfin avec les méthodes modernes, c’est plutôt une plaque de cuisson – pour créer une sorte de macération. Et c’est ça qui servira à faire une infusion. Tout ça pour dire que, entre des employés de cuisine qui n’osent trop rien dire et ne pas les déranger, les deux femmes se retrouvent autour d’une table avec plusieurs tasses de prêtes. Et malgré le fait que Jade est tout regardé scrupuleusement, elle ne veut pas être la première à goûter. « Sérieusement ? » Ivana roule des yeux avant d’attraper une tasse de boire dedans. « T’es consciente que même si j’avais mis un truc dedans ça n’aura pas d’effet sur moi contrairement à toi ! »

Première Rencontre

Elle ne s’inquiète pas trop. Si quelqu’un avait voulu la tuer, cela aurait été fait – ou tenter – dès le début. En tout cas pour le moment. Et puis, si elle ne semble pas inquiète à l’annonce d’un poison qui aurait pu être glissé dans sa tasse, c’est surtout parce qu’elle a été présente du début à la fin de la confection de ce thé. Ivana n’est pas assez stupide pour ne pas faire attention à un coup tordu, surtout quand elle n’est pas là en tant qu’invité voulue et appréciée. Alors quand il termine par lui expliquer qu’elle serait déjà en train de vomir du sang, Ivana se contente de hausser les épaules, toujours assise sur une chaise, avant de boire une nouvelle gorgée.

Jade abandonne la cuisine, laissant les deux vampires tous les deux. Il ne touche pas à une tasse que la sorcière a pourtant assez voulu produire pour demander de l’aide. Un sourcil se hausse légèrement quand il vient à dire que c’était le thé préféré d’Irina. Oh, donc là, il est en train de croire que tout cela n’est qu’un plan monté pour lui faire remonter quelques souvenirs ? Ivana laisse passer un sourire derrière sa tasse qui doit bien se voir un peu alors qu’elle continue de boire son thé. « Hmm. » Elle repose sa tasse sur la table avant de relever le regard sur Alekseï sans bouger de sa chaise. « J’ai peur de ne pas savoir le faire avec la bonne cuisson, il serait probablement trop saignant. Autant éviter. »

Elle n’a pas tellement eu l’occasion de faire ce genre de repas dans sa vie humaine, c’était plutôt à base de légumes qui voulaient bien pousser dans le jardin. Si une quelconque stratégie devait se passer par la bouffe, autant qu’elle s’assure que ce soit dans quelque chose qu’elle maitrise. Mais ce n’est pas le cas et Alekseï explique bien vite qu’il préfère les anecdotes plutôt que les plats. Sa question est orientée. Selon lui, elle a forcément été convaincue par Katerina mais il n’y a pas eu besoin de la convaincre de quoique ce soit. C’est sa vengeance qu’elle veut, Katerina a seulement proposé une aide pour y parvenir ainsi qu’une stratégie. Même la proposition d’Alekseï est orientée puisque, en échange, il expliquera en quoi Katerina est un monstre qui a même poussé son mari au suicide. C’est beau cette façon de remodeler l’histoire n’est-ce pas ?

« Tu veux une anecdote ? » Son regard se reporte sur les restes de la préparation qui a servit à faire le thé avant de venir rabattre un genou contre elle en le posant le pied sur sa chaise. « C’était le thé favori de beaucoup de Russes. Beaucoup des pauvres parce qu’il était un remède naturel qui ne nécessitait pas des dépenses de folies. » Cela dit, sa vie d’humaine sans argent, Ivana est loin de la voir comme un fléau. Ils avaient tellement d’autres choses. « J’imagine que si j’avais pu profiter d’un peu de l’empire financier de ta famille, je n’aurais même pas été en mesure d’expliquer à ta sorcière comment faire ce thé. » Parce que sa famille n’aurait pas eu besoin de chercher des solutions alternatives à un médecin et à un traitement. Son regard remonte jusqu’à Alekseï. « Contente d’apprendre que, même chez les riches, ce thé pouvait être apprécié. » En clair, elle n’en savait rien concernant les goûts d’Irina. Libre à lui de la croire ou non, même si elle penche plutôt pour le non.

Il est intelligent, il saura bien voir qu’il y a beaucoup d’informations sur cette petite anecdote. D’où elle vient et de quelle classe sociale elle est issue. Se retrouver pauvre quand la famille de base ne l’ai pas, laisse peu de possibilité : se cacher et avoir été renier. Il parait assez clair qu’Ivana se retrouve plutôt dans la première catégorie.

« Pour ce qui est de ta question. Je dois avouer que je suis assez surprise. » Pourtant aucun signe allant dans ce sens ne s’est vu sur son visage. « Tu te crois à ce point irréprochable pour penser qu’elle a forcément dû me convaincre de quoique ce soit ? » Elle veut venger sa famille, elles sont forcément tombées d’accord sur la personne qui devait en faire les frais. « Je dirais même que défendre sa cause n’a pas le moindre intérêt pour moi. » Seul le but final est commun. Katerina a ses raisons, Ivana a les siennes. « Alors tu peux garder tes histoires, ou anecdotes selon le nom que tu veux leur donner. Je m’en moque. » Déjà parce qu’elle ne peut pas croire un manipulateur et ça, c’est un fait que Katerina n’a pas inventé, il suffit de le voir pour s’en rendre compte. Mais surtout parce qu’elle est honnête quand elle dit qu’elle s’en fiche. C’est l’honneur de sa famille à elle qu’elle veut défendre. Si les Droski sont techniquement de sa famille, elle ne les considère pas comme tels tant ils ont détruit sa vie. Tant, il a détruit la vie de sa famille proche.