Milla, la femme presque sans histoire

« Je dois savoir qui vous êtes. » Milla lève les yeux sur la femme assise sur le fauteuil face à elle, c'est un sourire qu'elle lui offre. « Le principe d'une séance n'est pas de parler de moi. » Le ton est doux, posé et sans agressivité. Ce n'est pas la première qu'on lui pose des questions personnelles, beaucoup de personnes pensent que pour s'ouvrir ils doivent avoir un échange avec leur psy. Il lui arrive de donner quelques informations ici et là, mais jamais rien de bien important et c'est toujours très vague. « On ne se comprend pas. » Milla est étonnée mais, elle hoche la tête pour faire comprendre qu'elle ne demande qu'à être sur la même longueur d'onde que cette femme. La blonde face à elle se penche en avant et vient capter le regard de Milla, impossible de s'en échapper. « Je ne suis pas là pour moi, je cherche une personne pour quelqu'un qui m'est cher. Maintenant, racontez-moi votre histoire. »  Mila cligne des yeux. Une partie de son esprit comprend que ce qui se passe n'est pas normal mais, elle n'arrive pas à s'accrocher à cette sensation. Quelque chose l'oblige à parler.

« Il n'y a rien de particulier à dire, j'ai eu une enfance tout ce qu'on fait de plus normale. Vous savez, en Italie, on est très famille. » Son enfance, Milla s'en souvient très bien. Des cris, des pleurs mais surtout beaucoup de rires et d'amour. Elle vivait dans une grande villa avec ses parents et ses grands-parents, l'harmonie n'était pas toujours au rendez-vous mais c'est comme dans toutes les familles. Les gens peuvent s'aimer très fort, il faut quand même composer avec les caractères de chacun et s'y adapter. « Mais là-bas, tout le monde à un caractère très fort aussi. » ça la fait sourire et la rend un peu nostalgique. « Je crois que j'ai, très tôt, eu besoin de m'intéresser à ces caractères, les comprendre pour mieux les cerner. » C'était sa manière à elle de s'adapter à tout le monde. Comprendre leurs fonctionnements, prévoir leurs réactions dans telle ou telle situation pour pouvoir mieux y répondre ensuite. Elle s'en sortait déjà pas si mal à l'époque, surtout pour une enfant de son âge.

« Vous vous êtes donc dirigé vers des études en psychologie, c'est bien ça ? » Milla hoche la tête pour confirmer. « J'ai commencé en Italie mais, c'est durant mes études que j'ai rencontré Tony. » L'homme parfait. Celui qu'on ne peut que remarquer parce qu'il dégageait une sorte de prestance, d'assurance et d'aisance qu'il était difficile de détourner son regard de lui. Tony ne faisait pas d'études à proprement parlé, plus âgé de 5 ans, il disait avoir sa propre entreprise et travailler en partie pour l'université que fréquentait Milla. « On s'est très vite rapprochés, ça a très vite collé ensemble. C'était... Je ne sais pas comment le dire : naturel, comme une évidence ? » Un nouveau sourire nostalgique passe sur son visage en se souvenant de cette époque qui lui semble tellement lointaine. « J'avais 20 ans quand il m'a proposé de venir vivre à Londres, qu'il avait des affaires à gérer dans cette ville. Je n'ai même pas hésité quand je lui ai dit oui. » Milla était amoureuse et elle l'aurait suivi au bout du monde. Heureusement, Londres n'est pas le bout du monde et elle y a fini ses études sans le moindre problème. « On avait une grande maison dans le centre de Londres, on y était bien tous les deux. A la fin de mes études j'ai ouvert mon cabinet et, en même temps, j'ai été recrutée par la police pour leur servir de consultante sur quelques affaires. » Mila jonglait entre sa vie de couple, ses clients et son poste de profileuse pour la police quand il y avait des affaires importantes en cours. Elle a toujours aimé avoir une vie qui bouge, sûrement parce qu'elle déteste l'inactivité.

« On était tellement bien qu'on a décidé d'avoir un enfant ensemble. Bastien est né quand j'avais 27 ans et, ça change une vie. » Elle ne s'en est pas rendue compte sur le moment mais, un enfant devient vite le centre du monde. Toutes les décisions se prenaient en fonction de lui, c'est instinctif. Bastien c'est toute sa vie et, là encore, un sourire nostalgique mêlé à une certaine tristesse apparaît sur le visage de la psy. « Pourquoi vous parlez tout le temps au passé ? » Milla s'enfonce sur son fauteuil pour rester silencieuse de longues secondes. Tout le problème de sa vie se résume à cela : c'est du passé. « Vous savez, on dit souvent que les cordonniers sont les plus mal chaussés. Dans mon cas, cette expression prend tout son sens. » Elle secoue un peu la tête, s'en veut toujours de ne pas avoir vu les choses plus tôt. Tous les signes étaient là, elle aurait pu tout comprendre depuis bien longtemps. L'amour rend horriblement aveugle, Milla avait inconsciemment mis tous les indices de côté. « Tony est à la tête de la plus grosse mafia de Londres. Et je ne l'ai même pas vu. Je l'ai su quand, il y a trois ans, Bastien et moi ont s'est fait enlever en représailles d'une action initiée par Tony. » La peur de sa vie. Pas pour elle mais pour son fils. C'est là que toute la vérité lui avait explosé au visage. Bastien avait 5 ans à l'époque et elle sait qu'il s'en souviendra. Tout c'était bien fini pour eux, Tony et ses hommes les avaient retrouvés et sortis de là. Ils allaient bien. « ça été l'élément déclencheur, le moment où j'ai vraiment compris que Tony était un danger pour nous et que je ne voulais pas de cette vie pour Bastien. » Pour elle non plus à vrai dire. Milla c'est une femme bien et elle ne peut pas accepter les activités de son mari.

« Vous avez divorcé ? » Si seulement c'était aussi simple. Le sourire est ironique cette fois. « C'est là que les choses se compliquent un peu. Tony refuse le divorce et il veut récupérer Bastien. » c'est une sorte de guerre psychologique où Tony possède bien plus de moyens et d'influences qu'elle. « J'ai caché notre fils chez des gens. » Depuis trois longues années où elle essaye désespéramment de mettre assez d'argent de côté pour pouvoir s'enfuir avec lui et disparaître de la circulation. Surtout du radar de Tony qui a le bras très long. « J'ai mon propre appartement mais, c'est difficile de se détacher vraiment de l'influence qu'il peut avoir. Surtout quand la police ne veut absolument rien faire. Il est intouchable. » C'est un peu ce qu'elle reproche à la grande révélation. Tout le monde ne parle plus que des surnaturels. On fait des lois pour eux, on prend des décisions les concernants, on dit qu'on va mettre les gens en sécurité et les protéger de ces « monstres ». Mais dans tout ça, tout le monde semble oublier que, bien avant qu'on soit au courant des surnaturels, il y avait déjà des humains dangereux pour les autres. Et ça, les autorités l'oublient trop facilement. « Ce boulot que vous voulez me proposer, j'en ai besoin. » Elle hausse les épaules. « En tout cas, si je semble vous convenir. » Milla n'a pas besoin de préciser qu'elle veut ce travail pour l'argent que la vampire, face à elle, est prête à débourser. Ce travail, c'est son ticket pour se sortir de cette situation et pouvoir s'enfuir avec son fils.

« Je ne vais pas vous faire oublier que je viens de vous forcer à tout me dire. Il faut que vous sachiez ce que peux faire un vampire. Surtout celui que je vais vous envoyer. » Abigaël Rice, elle se lève et libère son emprise sur Milla avant de lui tendre une amulette. « Portez là uniquement avant de le rencontrer, elle s'activera à cet instant. C'est temporaire mais, au moins, pendant votre rencontre il ne pourra pas vous hypnotiser tant que vous la portez. » Et c'est sur ces paroles que la vampire s'en va, sans rien ajouter d'autre.