Jodie Rowley - Don't worry, be happy

« Je l’ai vu entrer dans la boutique de souvenir où je travaillais. Elle était avec des amies mais, je n’ai vu qu’elle, ses cheveux blonds, son rire et, surtout, son regard. En quelques secondes je savais que c’était elle, cette fille dont on rêve tous un jour. » Andrew, assis au bord du lit, jeta un regard amoureux à sa femme qui prit le relais avec un sourire bienveillant envers sa fille. « Le pire vendeur du monde, on a dû lui présenter 6 fois nos articles avant qu’il ne referme la bouche et se décide à nous encaisser. »

Cette histoire, Jodie la connaissait par cœur. Andrew, son père, avait proposé à Alice de lui faire visiter Londres et elle avait accepté. Elle l’avait trouvé si vrai, tellement maladroit, qu’elle n’avait pas eu le cœur à dire non. Dans le fond, elle l’avait trouvé attendrissant. Les trois jours suivants, les deux ne s’étaient pas quittés, il lui avait montré la ville et, ils avaient discuté de longue nuit dans divers pubs. Tout aurait pu s’arrêter là, Alice arrivait à la fin de son séjour et elle devait retourner en France, là où elle vivait.  Mais Jodie tenait une partie de son caractère de son père et, ce dernier, après quelques correspondances avec Alice, décida de passer ses vacances dans un petit village du sud de la France. Les deux personnes se retrouvèrent. Andrew ne rentra pas à la fin de son congé.  Voilà comment se forma le couple Andrew, l’anglais, et Alice, la française.

C’était une belle histoire mais elle ne méritait pas d’en faire un roman car le couple ne connut aucune complication. Pas d’ex compagnon fâché voulant se venger, pas de famille défavorable à cette union et encore moins de noirs secrets cachés dans le fond d’un tiroir. Rien de bien vendeur pour un roman à sensation, il n’y avait pas de rebondissement mais… Sérieux, ce qu’elle pouvait aimer cette histoire la petite Jodie, enfoncée sous sa couette, prête à s’endormir. Le couple raconta, encore, leur histoire d’amour, leur installation dans ce petit village sauvage au milieu des vignes et comment, le jour de noël de l’année 1989, la petite Jodie était née. Leur plus grande réussite selon eux, leur petit trésor. Bref, on l’aura compris, l’histoire de cette famille est la plus niaise et chamallow que l’on puisse raconter. Il n’y eu aucun évènement bien marquant, à part un débordement d’amour, pour la petite blonde. Elle ne s’était jamais sentie à l’écart, appréciait d’avoir un père lui parlant anglais alors que sa mère s’exprimait en français. La petite fille avait l’impression d’être écoutée et aimée. Qu’est ce qu’elle pouvait vouloir de plus ?

Année 1997 – Première tâche d’ombre.

Une nuit de novembre alors que Petit Trésor – comme l’appelait ses parents – dormait tranquillement dans son petit lit, un bruit l’interpella. Ce bruit provoqua un mélange d’inquiétude et d’appréhension chez la petite qui la poussa à se lever. Doucement, avec précaution, elle s’approcha de la fenêtre pour en pousser les rideaux et voir ce qui pouvait bien se passer.  Ses yeux s’écarquillèrent en voyant, non loin de là, un homme devenir un loup. Jodie croyait bien qu’un homme barbu, vêtue de rouge et de blanc, venait tous les ans à Noël pour distribuer des cadeaux à tous les enfants, pourquoi un homme devenant un loup ne serait pas possible ? On est capable de croire en tout à cet âge-là. Étrangement, ça ne l’avait pas perturbé plus que cela, elle avait réussi à faire un petit signe de la main avec le loup ne disparaisse sans qu’elle ne sache si son geste avait été vu ou non.

Le lendemain matin, au petit déjeuner, Jodie avait expliqué le plus simplement du monde ce qui s’était passé cette nuit. A sa grande surprise, sa mère reprocha à son père d’avoir encore laissé la télé allumée, laissant certaine Jodie voir des images d’un film qui n’était pas de son âge. Jamais elle n’aurait inventé une histoire pareille, elle l’avait forcément vu quelque part. Son père se défendait en disant qu’il n’avait rien oublié, que c’était sûrement Alice qui avait dû lire un livre avec un passage sur les loup-garou. Après de longues minutes à se renvoyer la balle – ce que Jodie n’avait jamais vu venant de ses parents – le couple préféra conclure que ce n’était qu’un mauvais rêve. La petite fille n’osa même pas insister ne voulant pas voir ses parents se disputer. Elle avait toujours eu confiance en eux alors, oui, peut-être qu’elle avait simplement rêvé… de quelque chose dont elle n’avait jamais entendu parler auparavant… Une chose est certaine : pour la première fois de sa courte vie, Jodie ne s’était pas sentie écoutée.

Année 2001 – l’éternité n’existe pas.

Quand on vit dans un tout petit village, il n’y a pas énormément d’enfants de votre âge alors on finit par être proche et de bien connaitre certaine personne. Julien, à 2 ans, c’était son « coupain ». A 4 ans, son « namoureux ». A 8 ans, son « super pote ». A 10 ans, son confident. Et, à 12 ans, c’était son premier baiser. Les deux gamins étaient inséparables, Jodie lui avait même parlé de ce qu’elle avait vu et, même s’il avait du mal à y croire, il l’accompagnait dans ses recherches à travers les vignes ou dans des bouquins pour essayer d’en savoir plus.

Un jour d’automne, ils s’amusaient à chercher des traces de pattes dans le sol de la vigne près de chez elle. Il avait eu une grosse pluie la vieille, Jodie c’était dit que c’était le bon moment pour trouver des traces dans la terre. Julien, lui, il n’espérait pas trouver grand-chose mais ça lui allait bien de passer la journée avec elle.  Ils étaient jeunes, ils avaient la vie devant eux alors, qu’est-ce qu’il y avait à craindre d’une virée qu’ils faisaient souvent ? Mais les choses tiennent parfois à peu de choses, les accidents arrivent plus vite que ce que l’on peut croire à cet âge-là. Julien marcha sur le mauvais caillou, le faisant trébucher sur une pierre bien mal placée. Le coup sur la tête fut violent, assez pour qu’il perde connaissance sans entendre Jodie se mettre à hurler à l’aide. Elle aurait cru à une éternité avant qu’un voisin ne l’entende et vienne voir ce qui se passe, trouvant la gamine secouant Julien dans l’espoir qu’il se réveille. Il fallu encore pas mal de temps avant que les pompiers n’arrivent sur place, et une vie entière avant qu’ils n’arrivent à l’hôpital le plus proche. La vie de Julien, qui l’a laissa dans les routes sinueuses propres à la région.

Les jours suivants, les parents de Jodie la laissèrent dans son mutisme. De toute façon, elle ne pouvait plus parler avec tout ce qu’elle avait crié et pleuré. Elle profita de ces quelques jours pour jeter tous les livres qu’elle avait sur les êtres surnaturels et qu’elle cachait à ses parents. Si elle avait décidé de faire ses études en histoire, en se spécialisant dans le folklore, cette idée fut abandonnée au profit d’étude de médecine. Jamais, elle ne resterait impuissante en attendant des personnes compétentes. Jodie passa trois jours à ne pas dire un mot, à se contenter de tripoter un bracelet brésilien – pas très beau d’ailleurs – que Julien lui avait offert, en décidant qu’il ne quitterait plus jamais son poignet.

Quand la fille fut enfin capable de parler et qu’on lui demanda ce qu’il s’était passé, elle préféra taire la raison de leurs présences dans les vignes. Elle décida de clore cette histoire de loup-garou à laquelle personne ne croyait et arriva même à se convaincre qu’elle avait tout inventé. Que cette histoire sortie de sa tête n’avait fait que créer des problèmes. Faire taire cette petite voix qui lui disait qu’elle n’avait pas halluciné était la meilleure chose à faire pour ne plus faire de mal aux gens qu’elle aimait. Jodie venait d’apprendre ce qu’était la mort, de manière très concrète et ça ne lui plaisait pas du tout.

Année 2002 – Le grand déménagement.

Les parents de Jodie ne savaient plus quoi faire pour aider leur fille mais, en début d’année, une sorte de solution se présenta à eux. Le père d’Andrew se faisait vieux et avait besoin d’une aide à domicile que la famille ne pouvait pas payer. Quand Andrew proposa à Alice d’aller vivre à Londres, la proposition était apparue comme évidente. Jodie, de son côté, n’avait émis aucune objection. Partir loin de ces vignes, sous sa fenêtre, qui avaient tué Julien, c’était même une libération.  Le dépaysement fut total, ils avaient quitté un petit village pour une grande ville mais, ce fut libérateur pour la petite Jodie. Elle aimait vraiment ce grand-père qu’elle n’avait pas beaucoup vu jusqu’à présent et, le fait de l’aider, lui permit de se changer les idées.

Elle n’avait pas envie d’être triste devant son grand-père qui semblait avoir bien assez de problèmes comme ça. Alors elle retrouva son sourire et, pour s’éviter de trop penser, elle se concentra sur ses cours. Au fil du temps, avoir l’air heureux se transforma en l’être vraiment et à en devenir une philosophie de vie. Il lui avait fallu du temps mais Jodie avait fini par comprendre que personne n’était éternel et que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain alors, elle devait profiter de chaque instant, de chaque personne et de chaque chose pouvant apparaitre comme anodine.

Son adolescence se résuma par ses études, ses nouveaux amis et sa famille avec son grand-père qu’elle aidait comme elle le pouvait. Une adolescence des plus normales où elle ne parla jamais de Julien, ne gardant de lui que ce bracelet au poignet. Plus tard, elle commença des études de médecine et ça lui plaisait vraiment.

Année 2015 – Les grands changements.

Jodie s’était construite une vie à Londres, faite d’amis et d’histoire d’amour. Elle avait quitté le domicile familial pour une colocation et les choses se passaient vraiment bien. Ses parents désespéraient un peu de ne pas la voir se caser sur le long terme mais, à elle, ça ne posait aucun problème.

Sa vie changea, à nouveau, un soir de début décembre quand elle reçu un coup de téléphone lui annonçant la mort de ses parents. Leur voiture avait basculé dans la Tamise, si on ne retrouva pas les corps on arrêta les recherches au bout de quelques jours. Étrangement, les premiers jours, elle ne fut pas triste, croyant naïvement qu’ils allaient revenir. Ils allaient se présenter à elle en lui racontant une histoire folle de Tamise les ayant fait échouer loin de la ville, leur raconter des péripéties dignes d’un bon livre.  Il fallu à Jodie un bon moins avant de prendre conscience que ça n’arriverait pas et de craquer, seule dans sa chambre. Ça ne dura pas longtemps, prenant conscience que si elle avait perdu ses parents, son grand-père avait perdu son fils unique.

Elle quitta donc sa colocation pour aller vivre avec la seule famille qui lui restait, après tout il avait besoin d’aide. Ses études lui prenaient trop de temps et les factures s’accumulant, Jodie ne pouvait pas acheter l’aide dont avait besoin son grand-père. Elle prit donc la décision d’arrêter ses études pour ouvrir une boutique de fleur dans le centre-ville.

Aujourd’hui, Jodie s’en sort plutôt pas mal. La boutique fonctionnait assez bien pour pouvoir prendre une employée, sans qu’elle ne regrette ce choix. Et elle arrivait à se dégager assez de temps pour prendre soin de son grand-père avec qui elle vit toujours. Elle est bien loin de s’imaginer qu’il y a des créatures surnaturelles qui peuplent les rues de Londres et, de toute façon, ça fait bien longtemps qu’elle ne s’intéresse plus à ces histoires !