Nikolaj Keegan

Qui aurait cru que la nouvelle petite tête blonde naît de l’amour de Lucian et Ella Keegan prendrait une telle tournure ? Mauvaise tournure ? Peut-être pour vous, mais pas pour moi. Peut-être que si Elijah n’était pas parti à mes cinq ans les choses auraient pu être différentes. J’ai longtemps détesté Abigaël d’être morte, mais peut-on en vouloir à une défunte d’avoir perdu la vie ? Sa fin en tous cas a bouleversé le destin de la famille Keegan. Ce grand frère qui aurait dû être mon modèle m’a abandonné, me laissant aux mains de ce père, Alpha du Nord de Londres, et il prit soin de m’éduquer à sa façon.

Etre le fils d’un Alpha et d’un homme d’affaire aussi respecté a eu un impact direct sur mon mode de vie, ma façon de penser et de me comporter. Quand on est destiné à prendre la place du roi un jour, tout le monde a beaucoup d’attentes sur vous, mon père plus précisément. Lucian voulait qu’Elijah devienne un meilleur Alpha que lui et que je devienne un meilleur Alpha qu’Elijah à mon tour, alors il m’a entraîné pour ça. La plupart des gens ne voient que les privilèges que ma place m’apporte dans la société, beaucoup ne voient pas tout ce qu’il y a derrière et pendant longtemps Lucian a surveillé mes moindres faits et gestes. A côté de ça Ella était complètement absente de ma vie, c'est comme si elle n'osait pas m'approcher, comme si elle n'assumait pas avoir un autre fils. Une part de moi l'a toujours détesté de me mépriser de la sorte, encore une à ne voir que par Elijah et ne pas vouloir me donner ma chance.

En revanche je n’en ai jamais voulu à mon père des coups qu'il me faisait subir, lui au moins me portait de l'intérêt et je savais que s’il frappait c’était pour une bonne raison, soit parce que j’apprenais mal, soit parce que j’échouais et il fallait que je sois à la hauteur. Je me suis entraîné longtemps pour devenir ce qu’il voulait, je me suis entraîné dur pour faire sa fierté. Il fallait que je surpasse Elijah dans son cœur et j’ai tout fait pour y arriver. Je passais des nuits entières à m’entraîner pour pouvoir vaincre l’adversaire de demain, j’ai appris les plans de la ville de Londres par cœur au point d'en connaitre ses moindres recoins et ses passages secrets, j’ai appris la stratégie et l’art de la manipulation, j’ai appris à négocier et faire en sorte de toujours placer la meute au-dessus de tout. Je suis devenu ce qu’il attendait de moi au fil des années, et un beau jour les coups ont fini par cesser.

A l’âge de quinze ans il était fier, enfin, car il savait que je voulais la même chose que lui, il savait que j’avais la même hargne envers les autres espèces et surtout les vampires. Notre meute était supérieure aux autres espèces, aux autres meutes et désormais je le prônais tout autant que lui. J’étais devenu ce qu’il voulait que je sois et avec l’absence d’Elijah, mon père me faisait parfaitement comprendre que je prendrais sa place à sa mort, et j’y étais totalement préparé.


L’adolescence est aussi l’âge où on découvre de nouvelles choses, où on apprécie particulièrement la présence des femmes. C’est par hasard que j’ai rencontré cette louve blessée, je rentrais seul d’une soirée bien arrosée et j’ai vu le sang. Elle s’appelait Ania, elle avait de longs cheveux noirs de jais, des yeux encore plus bleus que les miens, des courbes parfaites. Je l’ai désiré à la minute où j’ai posé mes yeux sur elle. Ania était une louve solitaire en fuite, rejetée par son ancienne meute et traquée par les vampires, elle recherchait une nouvelle meute pour l’accueillir et j’ai juré de l’aider. Cette fille m’avait totalement envoûté. Cette fille a été ma plus grande erreur.

Les jours passaient et je ne savais pas comment présenter les choses à mon père, lui qui réduit si bas la place des femmes, je savais qu’il ne voudrait pas d’une louve en exil. Je voyais Ania en cachette, lui mentant, lui donnant l’illusion que les choses avançaient avec mon père alors que je n’avais toujours pas évoqué le sujet. Lucian ne répondrait jamais affirmativement à cette demande mais je ne voulais pas la perdre. Peut-être resterait-elle par amour ? Mais qu’est-ce que l’amour au juste ? Surtout à notre âge, on ne sait pas ce que ça signifie et Lucian a pris soin de me le rappeler.

Il a fini par découvrir ce que je lui cachais : elle. A nouveau j’ai pu lire la déception dans son regard. Lucian n’a pas levé la main sur moi cette nuit-là, il a fait bien pire. Il a voulu me prouver que j’avais été berné, que si je laissais les femmes influencer ma conduite je ne serais pas digne d’être son héritier. Il a promis à Ania une place dans sa meute à la condition de rompre avec moi sur le champ, il lui a même promis un mari fort qui la protégerait de ses ennemis. J’étais persuadé qu’Ania me choisirait, qu’elle me ferait confiance pour prendre soin d’elle, qu’elle me considérerait comme assez fort pour la préserver du danger. Puis je l’ai vu baisser la tête et commencer à se diriger vers mon père en chuchotant qu’elle était désolée.

C’est la première et unique fois que j’ai tué une louve, tout comme ça a été la première et unique fois que je me suis laissé aller à l’amour. Mon impulsivité mêlée à ma déception et à ma rage m’a poussé à me jeter sur Ania et enfoncer ce pieu que j’utilise habituellement pour les vampires contre elle. Je hurle de rage lorsque l’arme s’enfonce dans son cœur et lui fait cracher du sang. Je la maintiens contre moi alors que je vois une larme glisser le long de sa joue, son sang tâcher mes vêtements au fil des secondes, jusqu’à ce qu’elle s’éteigne. Je relâche son corps, le laissant tomber au sol avant de me tourner vers mon père qui me fixe. Je me souviens encore des mots qu’il a prononcé cette nuit-là, toujours avec cet air froid et insondable : Voilà, c’est comme ça qu’on traite une femme de son espèce. Débarasse-toi du corps et ne te fais pas remarquer. Et j'ai obéis, passant le reste de la soirée à creuser un trou pour y enterrer le corps. Personne n'a jamais su pour ce meurtre, c'était un secret entre Lucian et moi.


Inutile de préciser que je ne me suis jamais laissé tenter à aimer à nouveau. Lucian m’avait fait retenir la leçon : l’amour est une faiblesse. Depuis Ania les femmes se succèdent sans même que je ne me souvienne de leur visage ou de leur prénom, elles ne comptent pas, elles ne sont qu’utiles à satisfaire ma libido. Tout ce à quoi je pense c’est regagné la confiance de mon père pour qu’il me cède le trône, et pour ça je n’hésite pas à employer la manière forte. C’est avec Bastian, Gareth et Nyméria, trois de mes amis d’enfance, trois redoutables combattants, que je décide de partir à la traque aux vampires. Le meilleur atout d’une meute est de chasser en groupe après tout, et à nous quatre nous étions redoutable.

Nous décimions les vampires les uns après les autres. Au départ on préférait les attaquer individuellement ou en petit comité, mais quand la transformation a eu lieu pour tous les trois, nous avons décidé de voir plus gros. Peu à peu je recommençais à faire la fierté de mon père, mais alors des rumeurs ont commencé à circuler dans la meute, tous se demandaient pourquoi j’étais le seul à ne pas avoir encore reçu mon loup et ce sujet m’a frustré durant des mois, surtout lorsqu’ils se sont mis à raconter que j’avais dû être recueilli par l’Alpha. Evidemment aucun n’osait exprimer sa pensée en face, mais je savais ce qu’ils pensaient tous et je n’attendais qu’une seule chose, recevoir mon loup pour leur prouver à tous qui je suis.

Cette période a été bien trop longue à mes yeux et plus j’attendais mon loup, pire je devenais. Les vampires ne me suffisaient plus, j’ai commencé à vouloir m’en prendre aux sorcières, peut-être à cause de ces rêves que je faisais. Toujours le même, une meute se faisant massacrer par des vampires et les sorcières qui les abandonnent telles les lâches qu’elles sont. Elles devaient payer, personne ne trahit les loups sans en subir les conséquences. Peu à peu je commençais à jouer avec mes propres règles, tel le roi que j’étais promis à être.


Ma transformation a eu lieu quelques temps après mes dix-sept ans, je l’ai senti au plus profond de moi lorsque les rayons de la pleine lune ont glissé sur ma peau. Le moment était venu. Cette nuit-là, malgré la douleur de mes os qui craquent je n’ai pas hurlé, j’ai ri car je sentais la puissance du loup grandir en moi et je savais qu’à nous deux nous serions redoutable. J’ai rapidement compris que mon loup était une réincarnation et que ces rêves récurrents que je faisais étaient des souvenirs de son passé. J’ai compris à travers eux que mon loup était un Alpha respecté qui réclame aujourd'hui vengeance, et je suis plus qu’heureux de pouvoir l’assister dans cette tâche.

Ils se sont tous tûs lorsqu’ils ont vu le loup imposant que je suis devenu, m’offrant enfin le respect que je méritais. Aucun ne sait qu’il s’agit d’une réincarnation et je n’ai pas l’intention de le leur lire, ni à mon père, ni ceux qui m’accompagnent jour et nuit dans la chasse. Finalement mon loup était arrivé dans les temps, mais je n’étais pas le seul à avoir un bon timing. Elijah est revenu de la guerre et mon père l’a accueilli comme s’il était le seul fils qui n’ait jamais compté à ses yeux. Malgré tout ce qu’il m’a fait subir, la seule fois où j’ai ressenti l’envie de tuer Lucian moi-même a été le jour où il a annoncé Elijah comme successeur pour devenir le prochain Alpha de la meute.

Depuis la mort de mon père je suis un loup en cage, enragé mais patient, à attendre le bon moment pour faire un coup d’état, pour renverser le pouvoir et récupérer la place qui m’est due. J’attends d’être prêt, passant ma frustration à travers encore plus de massacres de nos races ennemies, mais Elijah a soudainement décrété que nous devions faire la paix avec les autres espèces. A croire que le mauvais sort s’acharne contre moi, mais je ne compte pas obéir à Elijah de la même façon que j’ai obéis à mon père, cette fois c’est terminé. Si Elijah veut la guerre il l’aura, et l’ancien Alpha qui sommeille en moi est plus que décidé à en redevenir un.