Détention - Jour 1 - Poste de police – 12.05.1990
J’ai 14 ans lorsque je me retrouve pour la première et unique fois chez les flics. Je regarde l’homme en face de moi qui m’interroge mais mon esprit est ailleurs, porté vers Aliana. Que pensera-t-elle de moi lorsqu’elle saura pour mon arrestation ? Elle sera déçue. Toute ma famille sera déçue, mais c’est surtout son avis à elle qui m’importe. J’ai merdé. Je me suis laissé entraîner par mes idées et maintenant mes amis et moi sommes chacun enfermé dans un bureau à se faire interroger sur ce qui est légal et illégal pour des mineurs comme nous. Boire de l’alcool ? Illégal, mais pas forcément de quoi emmener au poste. Fumer un joint ? C’est déjà un peu plus compliqué avec les flics. S’envoyer en l’air quand on est mineur avec une personne majeur ? Ça ne passe pas du tout. Mais ce n’est pour aucune de ces raisons que je suis au poste. Cambrioler l’une des plus grandes banques d’Italie, là par contre ça passe beaucoup moins, même pour des mineurs.
Et là vous devez vous demander comment est-ce qu’à 14 ans on peut avoir une idée pareille ? Parce que oui, en plus d’avoir participé, j’étais aussi le cerveau de l’opération et à un petit détail prêt on aurait pu tout emporter. L’idée c’était de sauver la vie d’un ami atteint d’une grave maladie. Les greffes ça coûte cher, sans compter tous les soins qui vont derrière et sa famille n’avait pas l’argent, et nous ne voulions pas le laisser mourir. J’ai bien pensé à l’emmener voir une chamane mais rien ne pouvait le guérir, il n’aurait pas survécu à une morsure de loup et je ne voulais pas que mon ami devienne vampire. Alors j’ai organisé ça, la banque, l’Italie, le voyage scolaire, le casse, tout... Et me voilà au poste avec derrière moi un sac rempli de billets que la police n’a pas encore rendu à la banque. Je pari que certains vont piocher dedans avant de rendre l’argent.
La voix du flic me paraît toujours lointaine alors qu’il continue de me poser des questions auxquelles je ne réponds pas. Ce n’est que lorsqu’il s’arrête tout à coup que mon esprit se reconnecte à la réalité. Je suis son regard derrière moi et vois des hommes vêtus de vêtements militaires me fixer. L’un d’entre eux s’avancent et s’arrêtent dans mon dos, le regard planté dans celui du flic qui m’interroge.
- Monsieur l’agent, je vous prie de bien vouloir effacer le dossier de ce jeune homme. Vous ne l’avez jamais vu, ne l’avez jamais arrêté.
- Comment ? Mais...
- Ordre du gouvernement.Il dépose une lettre et je souris fièrement, ne sais pas quelle bonne étoile a pu tomber sur moi, mais je me dis que c’est le plus beau jour de ma vie en entendant ces mots. Je ne réalise pas encore qu’ils viennent de signer pour ma descente aux enfers, et lorsque je grimpe dans cette voiture à leurs côtés, je ne me doute pas non plus que je ne reverrais plus les visages de ma famille.
Détention Jour 35 - Unité 101 – 05.06.1990
A chaque jour qui passe je dessine un trait à la craie blanche sur les murs de ma chambre, ou plutôt de ma prison. Qu’ai-je fait pour mériter de finir ici ? Tout ça à cause d’un misérable vole ? Bon pas si misérable que ça d’accord, mais quand même, j’ai bien le droit à l’erreur ! Ici je ne suis rien, enfin si, je suis le patient 207-D, voilà tout, je n’ai même pas le droit à un nom, juste à une lettre et un numéro. Je ne suis qu’un cobaye à qui on demande pas l’avis avant d’y insérer une aiguille dans mes veines pour y injecter je ne sais quel produit. On me pose des questions auxquelles je suis forcé de répondre, on me pousse à suivre des entraînements physique pour étudier jusqu’où vont mes capacités. Et je me suis rendu compte aussi qu’ils savent ce que je suis, un initié.
Détention jour 77 – Unité 101 – 17.07.1990
Les jours s’enchaînent et se ressemblent, j’ai rapidement appris à devenir coopératif, me persuadant que si je leur offre ce qu’ils veulent, ils finiront bien par me libérer à un moment donné. Ils disent que j’ai un cerveau intéressant, particulièrement intelligent. Ils disent aussi que j’ai de sacrés capacités au combat pour un type aussi jeune que moi. Est-ce une bonne chose que mes résultats soient aussi positifs ? J’ai encore espoir à ce moment-là, je me raccroche à l’idée de retrouver ma famille, de revenir à une vie normale, avec les cours, les entraînements et les rituels. Je veux pouvoir compter à nouveau qui a le plus de bleus entre Aliana et moi. Je veux pouvoir devenir son initié, comme nos parents le désiraient. Je veux pouvoir la protéger du monde extérieur, même si elle le fait très bien toute seule. Je veux pouvoir plonger mon regard dans ses yeux bleus à nouveau et rester silencieux, à attendre de voir qui éclatera de rire en premier. Je veux retrouver ma vie. Laissez-moi retrouver ma vie...
Détention jour 8196 – Unité 101 – 08.10.1998
J’ai désormais 22 ans et j’ai perdu tout espoir qu’ils me laissent sortir de cet endroit. Mourir me semble presque utopique là-bas. Je n’en peux plus d’être enfermé ici, de tester leurs produits, de blesser pour ne pas être blessé. On test sur moi un produit différent tous les mois, mais plusieurs fois par jour j’ai le droit à des injections du fameux ‘test du mois’. Ils veulent voir si je vais développer certains dons, guérir plus vite, être plus rapide, user de magie... Ces hommes sont fous. Et aujourd’hui j’ai décidé de m’échapper.
A nouveau mon plan était presque parfait. Ils voulaient tester mon intelligence ? Ils allaient la voir à l’œuvre. En même temps ça fait quasiment deux ans que je prépare ce coup alors il valait mieux que tout se passe correctement. J’ai choisi mes alliés avec minutie. J’ai pris le temps de manipuler quelques scientifiques. J’ai réussi à récolter des outils, par ci et là, j’avais le temps après tout, j’ai toujours été un homme patient.
L’alarme retentit dans tout le bâtiment, une lumière rouge éclaire les couloirs et on y arrive enfin, à cette porte que nous n’avons jamais pu ouvrir. Aujourd’hui on y est parvenu. Mais lorsque les portes se sont ouvertes, on a compris qu’on était fichu. Nous n’étions pas en Angleterre. La base était dans un putain d’immense désert, éloigné de tout. Du sable sur des kilomètres et aucun arbre pour se cacher à l'horizon. Jamais nous ne serions sorti de cet endroit en une nuit et les vampires n’auraient pas survécu aux rayons du soleil. Mais on devait quand même essayer, pour la forme, pour leur prouver qu’on les emmerde. Si j’avais su ce qui nous attendait dehors, mon plan aurait été différent. J’aurais fait en sorte de trouver une voiture, un camion, un tank, peu importe. Nous n’avions pas de véhicules, mais au moins on avait des armes.
On a tenu plusieurs heures avant qu’ils nous récupèrent et c’était déjà une victoire pour nous. On a commis quelques dégâts chez eux, tué certains de leurs hommes, nous aussi on a eu des pertes mais au fond on préférait être mort que de retourner à l’intérieur. A vrai dire la plupart sont morts, sauf Samuel et moi. J’aurais tout fait pour le protéger, ce loup qui était comme mon frère, mon camarade de prison. Parler ensemble était tout ce qu’il nous restait pour tenir là-bas et cette nuit-là j’ai eu peur qu’on me l’arrache et c’est ce qu’ils ont fait, à leur façon. On a eu la malchance de retourner là-bas et si je n’ai jamais su ce qu’ils ont fait de lui, je savais qu’ils comptaient nous faire payer cette rébellion. Le soir même je suis installé sur une chaise de tortures, un casque sur la tête et ils m’annoncent qu’ils comptent me rendre docile, mieux, qu’à partir de maintenant je ne pourrais même plus me raccrocher aux visages de ma famille. Je me demande alors à quoi ils peuvent bien ressembler aujourd’hui. Qu’est donc devenue Aliana ? A quoi ressemble-t-elle ? Je l’imagine avec ses cheveux bruns qui lui tombent devant le visage, pas trop longs, elle a toujours pensé que ça la gênerait. Je revois ses yeux bleus, si beaux, si purs et je me raccroche à eux jusqu’à la dernière minute, la dernière seconde avant qu’ils n’effacent tout. Avant que je ne me souvienne de rien, si ce n’est mon nom et mon prénom qu’ils acceptent de me donner.
Journal de bord – Afghanistan – 15.07.2004
Un peu plus de six ans se sont écoulés. Je n’étais plus à l’unité, je n’étais même pas en Angleterre. On m’a envoyé à la guerre, en Afghanistan, aider les soldats américains. C’est là-bas que j’ai dû commencer à faire mes preuves et on peut dire que j’ai été à la hauteur. Je n’étais qu’un simple soldat au départ puis au fil des ans j’ai fini par monter les stratégies avec les officiers, à leur proposer des pièges qu’aucun esprit sain n’arriverait à imaginer mais dans la guerre les anges n’existent pas, alors mes idées leurs plaisaient. Pendant six ans j’ai survécu à la mort, j’ai donné la mort, moi, celui qui n’envisageait pas de voler une vie autrefois. Ils m’auront bien changé mais c’est ce qu’ils voulaient après tout. C’est sans doute pour ça qu’ils m’ont rappelé au pays.
Journal de bord – Base militaire – 22.04.2010
Désormais c’est la guerre contre les surnaturels que je mène et voilà une nouvelle mission réussie avec succès. Avec mon équipe je suis parvenu à ramener toute une secte de sorcières à l’unité. On me laisse les commandes des opérations depuis plus de deux ans, ils connaissent mes compétences maintenant et jamais je ne les ai déçus, un brave soldat qui obéit aux règles et qui trahit les siens. Sauf que je ne les considère pas comme les miens, après tout je ne connais rien de mieux que l’unité à présent. Ils ne m’ont jamais retiré ma puce, ils n’ont jamais eu non plus à l’utiliser contre moi. Je préparais les plans pour eux, les stratégies et je leur ramenais un paquet de surnaturels, parfois j’en tuais aussi.
J’ai 34 ans et ils ont fait de moi un nouvel homme à leur image, ou plutôt une machine. Le seul point positif ? C’est que depuis qu’ils m’ont fait perdre la mémoire, ils n’ont plus fait d’expériences sur moi, se sont contentaient des entraînements et tests psychologiques après m'avoir envoyé à la guerre. Ça aurait été dommage après tout, d’éliminer un tel atout, un être qui pense à toutes les options avant les autres et qui établit le plan A jusqu’au plan Z pour ne jamais perdre la bataille. Un guerrier expert du combat, que ce soit au corps à corps dû à mes entraînements depuis que je suis enfant ou aux armes qu’ils m’ont eux-mêmes appris à manier. Un initié doué dans ce qu’il fait, pratique pour secourir les alliés blessés et empoisonner les ennemis, je connais parfaitement mon art après tout, les plantes, les bons mélanges... Ils me voulaient dans leur équipe, ils m’auront eu.
Journal de bord – Base militaire – 16.09.2018
De mes 14 ans à mes 42 ans je n’aurais connu que ça, l’unité. Je ne connais encore rien d’autre aujourd’hui, mais peut-être que les choses vont changer, maintenant qu’ils m’envoient à Londres. Ils savent que ma famille se trouve là-bas pourtant, peut-être est-ce un test ? Vais-je le réussir ou échouer ? Je ne me souviens même plus d’eux, je n’ai en tête que la mission qui m’a été confié : ramener le plus de surnaturels possibles et il paraît que les quartiers de Londres en sont infestés. Vampires, loups, sorcières, ils ne font pas de différences, ils les veulent tous, prisonniers ou morts, aucun ne doit leur échapper et j’ai une sacré liste. Une liste de noms, parmi eux : Alex Blackwood, Kenneth Cash ou encore le sien, Aliana Williams...